Lignes de fuite, Lydia Fink

Lignes de fuite Lydia Fink, Installation in situ (vue frontale), Nuit Blanche 2015 Pigments purs, lessive, lumière noire, Perles, fils de fer, dessins 200m2, Pavillon du Dr Pierre, Nanterre

Installation in situ, 2015

Peinture au pigment pur : sol, murs, plafond. Liane suspendue, tissu, branches, perles… Bande sonore / Missive fictive de L.F. à Catela, bande sonore, lumière noire. 200m2. Pavillon du Dr Pierre, Nanterre

Cette installation a été réalisée à la suite d’une résidence de 6mois dans une ancienne usine de Nanterre où Soukmachines créa une résidence d’artiste en 2015. Elle fut présentée dans le cadre de NUIT BLANCHE et se métamorphosait à la nuit venue. Les lignes invisibles peintes à la lessive, devenaient phosphorescentes à la lumière noire, elles faisaient penser à des constellations dans le ciel ou à des fantômes.

Tout commence par un trou au plafond dans l’ancienne usine des Parfums Forvil, tenue par Lydia Fink… Je l’agrandis en peignant au pigment bleu outremer et noir, le trou se transforme en une longue étendue au plafond. J’y pends une liane réalisée avec toutes sortes de chutes glanées ça et là. Elle s’élance vers plusieurs endroits du plafond comme une ligne en 3D évoquant les contours d’un paysage. Les surfaces colorées sur les murs et le sol, composent les plans d’un paysage en anamorphoses dans les 200m2 de la pièce. Le spectateur déambule, cherche un point de vue duquel dominer et voir le paysage, mais celui-ci reste évanescent.

Le fil conducteur est une bande sonore dans laquelle j’interprète un texte poétique, missive imaginaire écrite par Lydia Fink, femme ayant tenu l’usine de 1945 à 1969. Son prénom évoque un pays disparu et son nom signifie « pinson » en juif alsacien. Elle devient ici un oiseau qui fuit dans l’immensité d’un paysage cosmique.

L’enquêté sur cette femme auprès d’anciennes ouvrières de Nanterre et dans les archives, raconte qu’elle teint l’usine avec son amant, Mr Catela, et qu’il partaient en vacances. Cette femme ne parlait jamais, elle était comme une image…

TEXTE de la BANDE SONORE :

Hey Catela,

Il fallait que cela ait lieu.

L’espace s’est ouvert. Découvert notre paysage. Les chars à voile de Lydie courent à l’horizon et Catela est revenu. Il sautille, gai comme un pinson dans la cour du Pavillon. Moi, cachée, j’attendais que quelque chose apparaisse dans mon grenier. Sous le dôme de mon château, je te regarde, Catela. Je regarde les étoiles filer. Un message, et tu parles de ta famille. Moi non, j’attends les vacances et l’infini d’un temps qui s’arrête.

Partout, dans les failles entrouvertes entre ciel et terre et à mon plafond, il y a des écarts. Ils déploient, ici et là, des plans en perspective, et des orientations se dessinent. Un sens émerge sous tes yeux, la salle à machines devient autre chose, je fais ce que je veux tu sais, pas que du parfum.

Je me déploie discrètement mais sûrement. Je me fonds. Comme Ophélie dans les Affinités électives, j’apparais. Morceau de pays disparu. J’en parle à Crésus et à mes origines perdues, à ma race, presque effacée. Nous possédions un horizon qui nous illimitait, il ouvrait des profondeurs. Toi, tu sautes à cloche pied, de planète en planète, pourquoi pas ? A la pointe de l’invisible, tu tends des destinations, une sorte de marelle pour les grands.

D’intervalles en intervalles, les pinçons battent de leurs ailes, entre proche et lointain, pulsation de ma respiration. Je suis, avec mes yeux, et dans le passage, cela fait image. Des paysages se tissent les uns dans les autres, soutenus par une unité perdue. Je perd pied puis me reprends.

Aujourd’hui, tout se présente encore à ma vue, et je suis le chemin. Penelope me tend la main et laisse tomber une ribambelle d’Ulysses de pacotille, ils volent en apesanteur et je marche dessus. Je m’aventure dans mon étendue. Mes contours flottent comme des bouées dans l’océan. Frontières qui s’amusent à se mettre à plat le long de mes bras. Mes mains sortent du paysage à la recherche d’un peu d’air. Tu gigotes et moi j’explore au-delà, je pars plus loin, un peu après. Je décolle du système solaire, de galaxie en galaxie, toujours un peu plus loin. Même pas besoin de fusée, tu sais : tout cela n’est qu’une ébauche du grand voyage, mon cher Catela.

Des images de terre et de ciel oui, mais je te demande une fable, une ligne poétique. Je voulais que tu crées un espace où j’aurais pu me déployer, un instantané. Mais quelque chose m’emporte comme un bateau découlant de tous les rivages. Ton visage s’efface. Je relève ma petite tête de pinçon, même pas pour tenter l’élégance, tu sais, juste pour me souvenir de tout ce qui nous échappe. C’est peut-être cela garder les pieds les pieds sur terre, avoir conscience d’une profondeur infinie, comme un rappel à l’ordre, et puis tout fuit…

Je me pose sur l’horizon et je laisse la ligne ouvrir mon corps et l’espace, la surface dans laquelle je me confonds donne une sensation d’ensemble homogène. On pourrait toujours découvrir d’autres pays toi et moi, on n’ira pas dans l’arrière-pays ok, même si moi c’ était ça qui m’intéressait ; J’aurais voulu que les choses du premier plan et du deuxième plan cessent d’être en compétition, et que tout se pose dans un beau tableau tout calme. Mais non, le fond de nos figures modernes reste abyssal, et moi un être vertical dans l’espace dispersé. Je suis la fable de moi–même. Je suis Lydia Fink. Et j’aimerais chanter pour que tu lèves enfin ta foutue tête.

Missive de Lydia Fink, Vanina Langer, 2015.