Je ne sais pas si c’est la poule ou l’oeuf et Marguerite non plus, 2021.
Garage Amelot, Paris (avec le soutien de Plateau Urbain)
Commissariat, QQCH29, Grégoire Prangé



L’as-tu vue ? Là, au milieu de la salle, flottant entre deux mondes, l’as-tu vue ? Le visage baissé – a-t-elle seulement un visage derrière cette longue cascade de cheveux dorés – le dos courbé, femme-colline aux multiples lianes déployées. L’as-tu vue ? Certes tu as regardé – comment passer à côté – mais s’il te plaît, regarde encore.
C’est une jeune femme qui se tient là. Elle enfouit sa tête dans le sol, telle l’autruche se reconnecte avec la terre, chaude, accueillante, ne fait plus qu’un avec l’environnement. Son visage ? Nul ne le peut deviner – ni même son identité. On nous dit qu é lle est Marguerite, celle du tableau de Vélasquez, l’infante d’Espagne à la vie tragique, éternelle enfant au futur amputé – net – entourée de ses suivantes, immortalisée dans l’un des chefs d’œuvres du baroque espagnol. Elle est image avant d ế tre personne, pourrait aussi bien n’être personne, ou bien l’humanité toute entière, pourrait aussi bien être la terre – elle est la forme, celle qui se tient cachée, qui se devine plus qu’elle ne se voit. Elle est mystère.
De son corps-paysage s’échappent des lianes – lignes courbes dessinent dans l’espace – comme le cou de l’autruche reliant le corps à la terre connectent et reconnectent, des coudes, des détours, des chemins que l’on suit vers l’ailleurs. La femme-liane est la femme magicienne, la sorcière aux forces telluriques, la liberté réprimée, l’enfance que l’on ne sait regarder, la terre que l’on ne sait écouter.
Et elle se tient courbée, devient colline parmi d’autres, de sa robe qui s’étend sur le paysage couvre la terre, et puis les autres aussi, les couve et on se tient dessous, sous la colline, couvés nous aussi par les larges pans de son vêtement et une voix résonne, qui parle de Tina – elle aussi sous la robe – de Marguerite et nous raconte, et la musique nous entraîne – on pourrait bien danser. Couvés nous aussi, comme ces œufs cuisinés tout autour, ceux sur les présentoirs, suspendus dans l’espace comme autant d’offrandes culinaires pour on ne sait quelle force surnaturelle – ou bien sont-ils pour nous ?
On sort de sous la robe, à l’extérieur retournés de grands pans de tissus se dressent devant notre regard. On les avait vus en arrivant, ils étaient bien là mais blancs presque tout entiers, de l’autre côté. À présent profusion d’images et de symboles, de grandes compositions à observer : un arbre blanc sur ciel de toutes les couleurs, de nombreuses lianes emmêlées, des motifs de papier peint remplis de formes géométriques, encore des couleurs et là des cheveux dessinent les contours d’un visage disparu, absence révélée, la lumière passe à travers non ? C’est le visage de Cléopâtre qui manque ici – mais il ne manque pas, au contraire marque, on ne voit que lui, présence presque assourdissante ! Une autre femme-image donc, mythe presque divin, la femme-soleil à l’aura plusieurs fois millénaire. Une autre tragédie aussi, une mort devenue fantasme pour les arts et la mémoire, une renaissance quasi-cosmique. Cléopâtre n’est pas une enfant, elle, mais magicienne également est devenue image puissante à la chaleur solaire, est devenue symbole.
Marguerite et Cléopâtre pourraient bien se regarder, si l’une n’avait pas les yeux rivés dans le sol, si l’autre ne s’était pas livrée au cosmos. Elles pourraient se regarder et qu’auraient-elles à se dire ? Qu’auraient-elles à nous dire ? Passant de l’une à l’autre nous créons le dialogue, nos corps dans l’espace comme autant de flux entre ces deux femmes-images jouent le discours de leur rencontre empêchée. L’environnement tout entier transpire leur présence, et nous aussi.
Grégoire Prangé Lille, mai 2021
- Je ne sais pas si c’est la poule ou l’oeuf et Marguerite non plus
- Faire l’autruche/ Installation d’art total
- Cléopâtres
- Le Dessin Infini II
- Dessins
- Sortie de soi
- GLORIA
- En attendant le chant de la Loba
- « Smog » Black Butterfly
- Je vois la femme dans un désert rouge
- George Sand
- Une chambre à soi